La crise du Covid-19 a marqué un tournant dans la politique d’environnement de travail mondiale de L’Oréal : l’essor du travail hybride a rendu nécessaire la transformation des espaces de travail à l’échelle mondiale, afin de préserver la collaboration et le bien-être des collaborateurs, moteurs clés du succès du groupe.
C’est dans ce contexte que Christophe Lajouanie a rejoint le pôle immobilier en tant que Global Directeur Workplace, après avoir occupé des rôles de direction en Marketing et Ressources Humaines pendant plus de 20 ans au sein du groupe.
Dès son arrivée, il s’est vu confier une mission de taille : “mettre en place une politique workplace mondiale pour réenchanter les espaces de travail”, en adoptant une organisation en flex office.
Malgré la complexité de la tâche, le n°1 mondial de la beauté est allé très vite : en l’espace de quatre ans, 50 des 60 sièges mondiaux ont été réaménagés, soit 95 % des collaborateurs qui travaillent désormais dans des bureaux rénovés.
Cette rapidité d’exécution a été rendue possible grâce à la mise en place d’un cadre clair et de recommandations précises, qui ont permis d’harmoniser les process et de garantir que chaque bureau soit le reflet de l’identité du groupe.
Décryptage de la méthode L’Oréal !
Le succès de L’Oréal est intimement lié à deux piliers majeurs : l’innovation et les talents qui la portent. Pour conserver sa position de leader mondial, le groupe a bien compris qu’il fallait penser l’immobilier comme un outil stratégique, car les bureaux façonnent les échanges, stimulent la créativité et contribuent pleinement au bien-être des collaborateurs.
“La culture de la beauté, c’est une culture d’innovation. Et l’innovation, ça passe par la collaboration.”
Si L’Oréal a pleinement adopté le mode de travail hybride initié par la crise sanitaire, le groupe reste convaincu que la présence au bureau est essentielle. La logique est simple : l’innovation, moteur de la réussite du groupe, naît de la collaboration, elle-même stimulée par les rencontres physiques.
Christophe Lajouanie insiste notamment sur l’importance des rencontres informelles : ces discussions inopinées à la machine à café, qui mènent à des idées ingénieuses. Ces moments de sérendipité sont difficiles (voire impossibles) à recréer à distance, c’est pourquoi le groupe a mis en place une politique hybride imposant au moins trois jours de présence par semaine.
“Le télétravail apporte de la flexibilité dans la vie des gens, mais pour innover, il faut que les gens se croisent, se voient, partagent.”
De cette volonté de renforcer la collaboration en présentiel est née la nécessité de réaménager les espaces pour qu’ils soient au service des échanges. Les modes de travail ayant changé, il fallait repenser les bureaux pour les adapter aux nouveaux usages, notamment face à la baisse drastique de la fréquentation des bureaux.
Au-delà de l’aberration économique que représentent des mètres carrés inutilisés, des bureaux vides freinent les rencontres et limitent les échanges informels. Face à ce constat, L’Oréal a choisi de déployer le flex office et de réduire son taux de foisonnement (le nombre de postes par collaborateur), pour adapter ses surfaces aux usages réels.
“Il faut travailler dans des surfaces qui sont cohérentes avec le nombre de collaborateurs.”
La transition vers le flex office s’est accompagnée d’une rénovation des espaces de travail, afin d’offrir aux collaborateurs une meilleure expérience au bureau. Rappelons l’objectif initial de ces projets de réaménagement, qui était de “réanchanter les espaces de travail“.
Les bureaux ont donc été entièrement repensés, pour favoriser la collaboration, mais aussi le bien-être des collaborateurs, axe central de la stratégie RH de L’Oréal. Dans ces locaux plus modernes, plus lumineux, et parfois dans des emplacements plus centraux (la réduction des espaces ayant permis de déménager dans les quartiers les mieux connectés), les collaborateurs y ont vu une nette amélioration de leur cadre de travail.
Pour déployer cette transformation des bureaux mondialement, L’Oréal avait besoin d’une politique claire, capable de servir de cadre commun à l’ensemble des projets. L’objectif : assurer une identité de marque cohérente dans tous les espaces de travail, tout en respectant les spécificités locales de chaque filiale.
En charge du projet, Christophe Lajouanie a donc conçu un guide de 150 pages, dont la première version a été publiée en janvier 2021. Véritable référence pour l’ensemble des projets de réaménagement, ce document présente :
Si les filiales disposent d’une grande liberté pour concevoir leurs bureaux à l’image de la culture locale, certaines règles doivent être respectées pour préserver l’identité L’Oréal, notamment : le dimensionnement des espaces, les normes de zoning, et certains codes visuels propres à la marque.
Dès les prémices du projet, les recommandations du guide jouent un rôle central, puisqu’elles fixent les règles pour déterminer la surface nécessaire en fonction du nombre de collaborateurs.
Pour ce faire, le groupe a défini plusieurs ratios clés à respecter pour l’ensemble des bureaux, notamment :
À cela s’ajoutent d’autres recommandations précises concernant la taille des cafétérias, des halls d’accueil ou encore des salles de réunion.
Tous ces paramètres sont compilés dans un fichier Excel à la fois simple et complet, qui permet de calculer la surface totale nécessaire. En moyenne, la référence retenue est d’environ 12 m² nets par poste de travail.
Ces indicateurs constituent une base de cadrage pour l’ensemble des projets, mais peuvent être ajustés dans une certaine mesure, afin de prendre en compte les spécificités locales. Christophe Lajouanie illustre ce point avec l’exemple du ratio de bulles collaboratives, volontairement fixé à un seuil élevé : il peut être légèrement abaissé à la demande des pays, mais doit impérativement préserver l’esprit collaboratif qui guide l’aménagement des espaces.
“On met beaucoup de normes pour cadrer le projet au début, mais ensuite on peut négocier dans une certaine limite. Si nécessaire, on peut passer d’une bulle pour six personnes à une pour huit, mais pas une pour douze.”
L’Oréal souhaitait également instaurer un zoning harmonisé dans ses bureaux, conçu pour soutenir sa culture de l’informel et encourager les échanges spontanés. Le guide définit ainsi ce qu’est un “zoning L’Oréal”, en détaillant les espaces attendus et leur rôle dans l’expérience collaborateur. Christophe Lajouanie cite notamment l’exemple emblématique de la “Place des Villages” : une grande cafétéria pensée comme un point de convergence incontournable, toujours située au carrefour des circulations pour favoriser les rencontres entre équipes.
Les recommandations vont même jusqu’au micro-zoning, en précisant ce qui est attendu dans chaque type d’espace : les équipements IT dans les salles de réunion, le mobilier dans le hall d’accueil… et, bien entendu, les marqueurs identitaires de L’Oréal, présents dans tous les bureaux.
Dans sa stratégie workplace, L’Oréal fait de l’expression de son identité dans ses espaces de travail une priorité.
“Quand on entre dans un bureau L’Oréal, on doit sentir la beauté, l’innovation et la nature.”
Cette traduction de la culture du groupe dans les bureaux passe par plusieurs éléments clés :
Le guide compile ainsi une série de recommandations précises sur l’atmosphère attendue, illustrées par de nombreux exemples de projets réussis. Ces inspirations servent ensuite de base de travail aux équipes workplace, chargées de les adapter à leur culture locale. Un des exemples mentionnés par Christophe Lajouanie est le cas du siège du Mexique, où les équipes ont fait appel à un street artist mexicain pour ancrer la vision de la beauté L’Oréal dans la réalité locale, et créer des visuels uniques pour la fameuse “place des villages”.
Véritable pilier de la transformation des bureaux à l’échelle mondiale, ce guide sert à la fois de référence stratégique et de brief opérationnel pour les architectes. Depuis sa création, il ne cesse d’évoluer, enrichi par les retours des pays et les nouveaux projets, qui viennent alimenter la base d’exemples existants.
Maintenant que le projet de rénovation des bureaux en flex office touche à sa fin, l’équipe Workplace de L’Oréal engage une nouvelle phase stratégique : le pilotage des bâtiments par la donnée.
L’objectif : ajuster les ressources en fonction des usages réels, pour offrir une expérience collaborateur optimale et réduire la consommation énergétique des bureaux.
“La prochaine étape, c’est la data : mesurer les taux d’occupation, mieux piloter nos surfaces, optimiser l’expérience collaborateur.”
L’Oréal a déjà lancé des initiatives pour mesurer les taux d’occupation de certains espaces, notamment des salles de réunion, suite à des commentaires de collaborateurs qui jugeaient leur nombre insuffisant. Les données ont révélé un tout autre constat : les salles n’étaient en réalité occupées qu’à 60 % en moyenne. Le problème n’était donc pas une question de quantité, mais un manque de visibilité sur la localisation des salles de réunion disponibles.
À terme, la mesure fine de la fréquentation permettra à L’Oréal d’adapter ses ressources aux besoins réels et de rationaliser ses surfaces pour une gestion plus durable !